Logo 'Étude du Ritz'

Publications

Les arrêts édités en ligne ont trait à des cas singuliers pour lesquels notre Étude s'est engagée.
Ces jugements sont répartis en fonction des divers domaines du droit.

Notre site apporte simplement des informations indicatives, ne donnant en fait qu'un premier éclairage.

Seul un avis personnalisé est à même de répondre probablement aux interrogations singulières de chacun.

Les questions fréquentes ne sont publiées qu'à titre d'indication générale et ne doivent pas être assimilées à un avis de droit définitif. Chaque cas est singulier et doit être traité comme un cas unique nécessitant donc une réponse différenciée

Acte illicite : qualité pour agir d'une association défendant le gypaète

4C.317/2002 /ech

Arrêt du 20 février 2004 Ire Cour civile

MM. et Mme les Juges Corboz, Président, Walter, Klett, Nyffeler et Favre. Greffière: Mme de Montmollin

La Fondation X.________, demanderesse et recourante, représentée par Me Philippe Pont,

contre

La Masse en faillite de feu A.________, défenderesse et intimée, représentée par Me Hildebrand de Riedmatten.

Acte illicite; responsabilité civile pour délit de chasse.

Recours en réforme contre le jugement du Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile II, du 10 septembre 2002.

Faits:

A. Le 4 novembre 1997, au cours d'une chasse, B.________ a abattu le gypaète barbu Republic V sur un alpage situé au-dessus de Montana.

Reconnu coupable de violation de l'art. 17 de la loi fédérale sur la chasse et la protection des mammifères et oiseaux sauvages du 20 juin 1986 (ci-après: LChP), B.________ a été condamné, par jugement du 17 février 1999, à 10 jours d'emprisonnement avec sursis pendant deux ans; son autorisation de chasse lui a été retirée pour un an. L'Etat du Valais s'était constitué partie civile dans la procédure pénale, par son service de la chasse. A la suite d'une transaction en application de laquelle B.________ a versé 20'000 fr. à titre de "dédommagement pour le gypaète barbu", l'Etat du Valais s'est désisté de ses conclusions civiles.

B. Le gypaète barbu a été massivement exterminé au cours du 19e siècle, disparaissant officiellement du Valais à la fin février 1886. Dans les années 1970, le rapace a été réintroduit dans les Alpes. Le premier indice de sa présence en Valais remonte au mois de juin 1987. De 1987 à 1995, 14 gypaètes ont été identifiés de façon certaine dans le canton, dont Republic V, âgé de cinq ans au moment de sa mort. Celui-ci avait été observé à tout le moins pendant deux ans. Son territoire se situait entre C.________ et D.________.

La Fondation X.________ (ci-après: la Fondation) a été constituée en 1991. Cette institution, dont le siège est aux Pays-Bas, chapeaute un projet international entrepris en 1978, soutenu par des fonds publics et privés. Son but est la reconstitution d'une population sauvage de ces oiseaux dans les Alpes. Elle coordonne les échanges entre une trentaine de jardins zoologiques qui participent à l'élevage dans le monde entier. Chaque année, elle choisit, parmi les oiseaux du réseau d'élevage, ceux qui seront réintroduits. Elle supervise le lâcher de jeunes oiseaux dans quatre sites de réintroduction créés dans l'ensemble du massif alpin. Les oiseaux sont munis, juste avant le lâcher, de marquage alaire individuel ainsi que de deux bagues colorées. Ils sont régulièrement suivis dans leurs déplacements par un réseau d'observateurs bénévoles mis en place sur l'ensemble de l'arc alpin. En 2002, plus de 100 gypaètes barbus avaient été réintroduits dans la nature. Republic V, né le 14 février 1993, provenait de la station d'élevage en Autriche, qui est supportée financièrement par une société zoologique en Allemagne. Une banque américaine avait parrainé l'opération à hauteur de 20'000 fr.

C. Le 12 mai 2000, la Fondation a assigné B.________ en paiement de 118'000 fr. avec intérêts à 5% dès le 4 novembre 1997 à titre d'indemnisation des frais investis pour Republic V. Par jugement du 10 septembre 2002, la Cour civile II du Tribunal cantonal valaisan a rejeté la demande. La cour a estimé, comme avant elle les autorités pénales, que la Fondation n'avait pas la qualité pour agir en paiement de dommages-intérêts contre le défendeur. Au demeurant, le préjudice invoqué ne constituait pas un dommage juridiquement reconnu en droit suisse; de surcroît, le préjudice n'était établi ni dans son existence, ni dans son ampleur.

D. La Fondation recourt en réforme contre l'arrêt du 10 septembre 2002, renouvelant devant le Tribunal fédéral ses conclusions de première instance.

Le défendeur est décédé durant le procès. Ses héritiers ont répudié la succession qui a été liquidée par l'Office des faillites de E.________. Par courrier du 4 décembre 2003, ce dernier a avisé le Tribunal fédéral que la masse en faillite avait décidé de reprendre le procès. En temps utile, cette dernière a déposé une réponse pour inviter le Tribunal fédéral à rejeter le recours dans la mesure de sa recevabilité.

La cour cantonale n'a pas déposé d'observations.

Le Tribunal fédéral considère en droit:

1. Saisi d'un recours en réforme, le Tribunal fédéral doit conduire son raisonnement juridique - n'étant pas lié par celui de la cour cantonale ou par les motifs invoqués par les parties (art. 63 al. 1 et 3 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c ) - sur la base des faits contenus dans la décision attaquée, à moins que des dispositions fédérales en matière de preuve n'aient été violées, qu'il n'y ait lieu à rectification de constatations reposant sur une inadvertance manifeste (art 63 al. 2 OJ) ou qu'il ne faille compléter les constatations de l'autorité cantonale parce que celle-ci n'a pas tenu compte de faits pertinents et régulièrement allégués (art. 64 OJ; ATF 127 III 248 consid. 2c ), toutes exceptions que le recourant doit soulever expressément s'il entend s'en prévaloir.
En dehors de ces cas exceptionnels, le recourant ne peut présenter de griefs contre les constatations de fait (art. 55 al. 1 let. c OJ), ni contre l'appréciation des preuves à laquelle l'autorité cantonale s'est livrée ( ATF 127 III 543 consid. 2c ; 126 III 189 consid. 2a ; 125 III 78 consid. 3a).

2. On est en présence d'une action en dommages-intérêts, fondée sur un acte illicite commis en Suisse, ouverte par une demanderesse dont le siège est aux Pays-Bas contre un défendeur domicilié en Valais. La cour cantonale a retenu la compétence des tribunaux valaisans et l'applicabilité du droit suisse en vertu des art. 5 ch. 3 de la Convention de Lugano, du 16 septembre 1988, concernant la compétence judiciaire et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale et art. 133 al. 2 LDIP. Avec raison, les plaideurs ne discutent pas ces points, ni n'invoquent la violation de conventions ou traités internationaux.

3. Le premier motif qui a conduit la cour cantonale à écarter la prétention de la demanderesse est l'absence de qualité pour agir de celle-ci.

La qualité pour agir et la qualité pour défendre appartiennent aux conditions matérielles de la prétention litigieuse. Elles se déterminent selon le droit au fond et leur défaut conduit au rejet de l'action qui intervient indépendamment de la réalisation des éléments objectifs de la prétention litigieuse ( ATF 126 III 59 consid. 1). La reconnaissance de la qualité pour agir signifie que le demandeur peut faire valoir sa prétention contre le défendeur ( ATF 125 III 82 consid. 1a et l'arrêt cité).

En ce qui concerne les conditions de la responsabilité délictuelle, la question de la qualité pour agir se recoupe avec celle de l'illicéité de l'acte incriminé ( ATF 102 II 85 consid. 6c; Brehm, Commentaire bernois, n° 17 ad art. 41 CO). Un comportement est illicite s'il est contraire à un devoir général, soit parce qu'il porte atteinte à un droit absolu du lésé, soit parce qu'il enfreint une injonction ou une interdiction écrite ou non écrite de l'ordre légal destinée à protéger le bien juridiquement atteint ( ATF 123 II 577 consid. 4c et les références). Les droits absolus sont la vie et l'intégrité corporelle, la personnalité, la propriété matérielle et immatérielle (Brehm, op. cit., n° 35 ad art. 41 CO).

Les règles de comportement peuvent trouver leur source dans l'ensemble de l'ordre juridique suisse, qu'il s'agisse du droit écrit ou non écrit, privé ou public, fédéral ou cantonal ( ATF 116 Ia 162 consid. 2c ).

4.
4.1 A juste titre, la demanderesse n'invoque pas de droit réel sur le gypaète. D'après les constatations souveraines des premiers juges (art. 63 al. 2 OJ), au moment où il a été abattu, Republic V vivait à l'état sauvage en liberté; la Fondation, conformément au projet de réintroduction, l'avait remis en liberté pour qu'il vive à l'état sauvage. Or, de jurisprudence claire, les animaux sauvages vivant en liberté sont des choses sans maître ( ATF 116 IV 143 consid. 2b ; 90 II 417 consid. 2; cf. aussi Meli, Ueber den Erwerb des Eigentums an Jagdwild, in RSJ 1935/1936, p. 245 ss) - pour autant que l'utilisation du terme "chose" soit encore appropriée depuis l'introduction des nouvelles dispositions sur les animaux entrées en vigueur le 1er avril 2003 (cf. art. 641a al. 1 CC). Le code civil dispose par ailleurs que les animaux captifs n'ont plus de maître dès qu'ils recouvrent la liberté, si leur propriétaire ne fait, pour les reprendre, des recherches immédiates et ininterrompues (art. 719 al. 1 CC). Les animaux apprivoisés qui sont retournés définitivement à l'état sauvage n'ont également plus de maître (art. 719 al. 2 CC ).

4.2 Dans un premier moyen, la demanderesse invoque en sa faveur les règles sur la possession. Reconnaissant que Republic V était une "chose" sans maître, elle fait valoir que la Fondation avait la possibilité de capturer l'oiseau à tout moment et en toute légalité dans un but scientifique ou sanitaire, sans qu'une autorisation supplémentaire ne lui fût nécessaire. A ses yeux, cette faculté lui donne une maîtrise juridique sur les gypaètes, cette maîtrise étant renforcée par le peu de crainte que manifeste à la présence humaine ce type d'oiseau souvent né en captivité.

Ce moyen doit être rejeté. D'emblée, on observera que les deux documents sur lesquels la demanderesse cherche à étayer sa position ne sont pas décisifs. La décision rendue le 9 janvier 1998 par le juge d'instruction pénale, comme la décision sur plainte prononcée par la Chambre pénale du Tribunal cantonal valaisan en date du 21 avril 1998, ne reconnaissent pas, contrairement à ce que la demanderesse tente de faire accroire, sa maîtrise juridique sur les oiseaux qu'elle réintroduit dans l'arc alpin; le feraient-elles qu'elles ne lieraient de toute manière pas le Tribunal fédéral quant à l'appréciation juridique du statut du gypaète. La demanderesse invoque tout aussi vainement une attestation fournie par la Société zoologique Y.________, qui viendrait confirmer que la Fondation garde sous son contrôle les 49 gypaètes que la société zoologique lui a remis.

Selon le jugement attaqué, c'est volontairement, et dans le but qu'il vive à l'état sauvage, que la Fondation a remis en liberté Republic V (consid. 4b). Ces constatations de fait portant sur les intentions de la demanderesse scellent le sort du moyen. La possession suppose en effet, outre une maîtrise de fait - qui peut effectivement être ouverte comme l'expose la demanderesse, à l'exemple d'un tas de bois coupé se trouvant dans une forêt (ATF 44 II 398; Steinauer, Les droits réels, tome I, 3e éd., n° 183), ou interrompue de manière purement passagère (art. 921 CC) -, un élément subjectif consistant dans la volonté de posséder (Steinauer, op. cit., n° 187 ss). En l'occurrence, on doit admettre qu'en relâchant le gypaète dans le but de le rendre à la vie sauvage, la Fondation a adopté un comportement procédant de la déréliction (Steinauer, op. cit., n° 309; tome II n° 2130 ss). A supposer que Republic V ait pu être considéré comme un animal apprivoisé durant sa captivité, il est établi que la Fondation, au moment où elle l'a remis en liberté, entendait le laisser retourner définitivement à la vie sauvage, si bien que l'oiseau est devenu alors une "chose" sans maître que la demanderesse ne peut plus revendiquer (art. 719 CC et Steinauer, op. cit., tome II, n° 2080). Que la prénommée ait régulièrement suivi le gypaète dans ses déplacements, ainsi que l'a retenu la cour cantonale, ou même qu'elle ait éventuellement eu la faculté de le capturer à des fins scientifiques ou sanitaires selon ce que la Fondation prétend, ne change rien au fait que le rapace était dorénavant censé vivre à l'état sauvage. Il n'a pas été allégué que le projet aurait été formé de le remettre en captivité. Le moyen pris de la violation des dispositions sur la possession est mal fondé.

5.
5.1 Dans un deuxième moyen, la Fondation invoque la violation de l'art. 23 LChP, disposition qui donne au locataire de la chasse, dans les régions où la chasse est affermée, au canton ou à la commune, dans les autres régions, le droit d'exiger la réparation du dommage causé par un délit de chasse ou par une contravention, en précisant que les dispositions du code des obligations sur les actes illicites sont applicables pour le surplus. Rappelant que l'ordre juridique suisse considère comme un intérêt digne de protection de maintenir et de diversifier la faune sauvage, que ce principe est ancré dans la Constitution fédérale (art. 78 Cst.), dans la législation fédérale singulièrement dans la LChP et dans la loi sur la protection de la nature et du paysage (ci-après: LPN) - ainsi que la législation cantonale, elle fait valoir que la réintroduction des animaux sauvages constitue une tâche d'intérêt public, que l'Etat peut accomplir lui-même ou confier à un particulier. Elle allègue que l'opération de mise en liberté d'un gypaète est assujettie à autorisation administrative et qu'elle dispose en la matière de la prérogative de puissance publique puisqu'elle peut s'approprier de choses sans maître à des fins scientifiques ou sanitaires, ajoutant qu'il ne serait "pas exclu" que des "entités du type de la Fondation" voient leurs activités subventionnées.

Pour la demanderesse, l'intérêt protégé par l'art. 23 LChP n'est pas celui de l'Etat vu comme le propriétaire des animaux sauvages, puisque le locataire de la chasse aussi mentionné dans cet article n'est jamais propriétaire de l'animal sauvage, mais celui du "gestionnaire de la faune". Le législateur aurait entendu imposer aux auteurs d'infractions la réparation du dommage causé aux gérants du gibier indépendamment du régime de propriété applicable aux animaux braconnés, compte tenu des dépenses importantes liées à la gestion et éventuellement à l'élevage de la faune. L'activité par laquelle la Fondation lâche dans la nature un gypaète étant assujettie à autorisation, celle-ci serait donc, à l'image du locataire de la chasse, un gestionnaire de faune. L'art. 23 LChP protégerait par analogie les intérêts économiques de la Fondation qui participe au repeuplement du gypaète. Il n'y aurait aucune raison objective d'exclure du dédommagement la Fondation alors que le locataire d'une chasse est protégé dans ses intérêts financiers. Il faudrait voir dans la formulation de l'art. 23 LChP la présence d'une lacune proprement dite: si le législateur fédéral avait pensé au problème des organisations qui participent à la réintroduction d'animaux sauvages protégés, il aurait, conformément aux buts de l'art. 1 LChP, prévu la réparation des dommages causés à ces fondations par des tirs illégaux.

5.2 Selon Keller (Haftpflicht im Privatrecht, Band I, 6e éd., p. 350), c'est pour pallier la difficulté constituée par le fait que personne ne peut revendiquer un droit de propriété sur les animaux sauvages que le législateur a introduit l'art. 23 LChP. Le message du Conseil fédéral ne donne pas d'explication particulière sur la raison d'être de cette norme, qui effectivement ne désigne que les locataires de chasse ainsi que les cantons et les communes comme légitimés à agir pour obtenir réparation des délits de chasse (FF 1983 II 1251). Une règle assez semblable figurait déjà dans la loi sur la chasse et la protection des animaux, du 10 juin 1925, qui a précédé la législation actuelle. L'art. 64 de cette loi (non modifié par les révisions de 1941 et de 1962 - pour un rapide historique de la législation, cf. Isabel R. Sieber, Die Haftplicht für Jagdschaden, thèse Zurich 1998, p. 15 ss) disposait ainsi que les dommages-intérêts à payer en cas de délit de chasse était dus au fermier dans les régions où la chasse est affermée, et à l'Etat ou à la commune dans les autres régions. Il était précisé que le montant des dommages-intérêts était fixé selon la valeur de l'animal vivant, et que lorsque l'animal avait été saisi, sa valeur marchande devait être déduite du montant des dommages-intérêts (FF 1925 II 668). Le message du Conseil fédéral expliquait à ce propos que les dommages-intérêts devaient principalement servir à l'acquisition de gibier vivant destiné à remplacer le gibier illicitement tué, chose aisément réalisable notamment dans les cantons qui avaient déjà constitué des fonds pour le repeuplement (FF 1922 I 388). A l'époque, même si elles avaient un poids bien moins important qu'aujourd'hui, les organisations pour la défense de la nature et pour la protection des oiseaux avaient déjà été associées à la mise au point du projet de loi (FF 1922 I 378). La capture ou même l'abattage d'oiseaux protégés dans un but scientifique, par des "personnes expérimentées et sûres" étaient déjà également prévus dans la loi, sur autorisation des cantons et avec l'assentiment du Conseil fédéral (art. 25 non modifié par les révisions de 1941 et de 1962; FF 1925 II 659). Dans ces circonstances, on ne saurait donner suite à la thèse de la demanderesse selon laquelle l'absence de mention des organisations de protection de la nature à l'art. 23 LChP soit le fait d'une lacune proprement dite et qu'il faille reconnaître la qualité pour agir à tous les personnes ou organismes chargés d'une mission de gestion de la faune.

On peut d'autant moins admettre l'existence d'une lacune que la question de savoir dans quelle mesure les organisations de protection des animaux, plus généralement de la nature, peuvent avoir la faculté d'agir en ce domaine a régulièrement occupé le législateur ces dernières décennies. Pour la protection de la nature et du paysage, l'art. 12 LPN, pour la protection de l'environnement, l'art. 55 de la loi fédérale sur la protection de l'environnement, confèrent des droits de recours à des organisations d'importance nationale (à vrai dire, il faut distinguer différentes catégories d'actions exercées par les associations, car toutes ne poursuivent pas le même objectif; alors que certaines sont destinées à mettre en jeu la responsabilité des auteurs d'atteintes à l'environnement, d'autres tentent de faire respecter la légalité). En ce qui concerne les animaux, outre l'hypothèse d'un droit de recours donné à des associations dans les domaines administratifs, civils et pénaux, l'opportunité d'instituer des défenseurs chargés de représenter leurs intérêts, spécialement dans le cadre des procédures pénales fondées sur le droit relatif à la protection des animaux (à l'instar de ce qui se fait à Zurich) a été l'objet d'un examen de la part du Conseil fédéral à l'occasion des initiatives populaires fédérales "pour un meilleur statut juridique des animaux (Initiative pour les animaux)" et "Les animaux ne sont pas des choses!". Le Conseil fédéral a toutefois estimé qu'il n'y avait pas lieu d'accorder à des associations des droits particuliers en la matière, réservant la compétence des cantons (FF 2001 2402; pour plus de détails sur les droits de recours d'organisation en matière de protection des animaux, cf. Catherine Strunz, Die Rechtsstellung des Tieres, insbesondere im Zivilprozess, thèse Zurich 2002, p. 27-33). De manière plus générale, l'avant-projet de loi fédérale sur la révision et l'unification du droit de la responsabilité civile prévoit l'introduction d'une disposition sur la responsabilité pour les dommages causés à l'environnement (art. 45d) destinée précisément à remédier au fait que, à l'heure actuelle, l'absence de droit réel sur les éléments tels que l'air, l'eau, la faune ou la flore empêche parfois quiconque de faire valoir un droit à la réparation. Ainsi, l'alinéa 2 de l'art. 45d AP prévoit que lorsque les composantes de l'environnement menacées, détruites ou détériorées ne font pas l'objet d'un droit réel ou que l'ayant droit ne prend pas les mesures commandées par les circonstances, le droit à la réparation appartient à la collectivité publique compétente ou aux organisations nationales et régionales de protection de l'environnement qui ont effectivement préparé ou pris de telles mesures et qui y étaient autorisées. Cette proposition a toutefois rencontré plusieurs oppositions farouches lors de la procédure de consultation (Werro, La responsabilité civile: à la croisée des chemins, RDS 3/2003, p. 262 ss; cf. aussi, pour les actions d'intérêt collectif, l'art. 79 de l'avant-projet de loi fédérale de procédure civile suisse (juin 2003), attribuant aux organisations habilitées aux termes de leurs statuts à défendre les intérêts de leurs membres ou des intérêts communs à un groupe de personnes la faculté d'agir en constatation de droit, en suppression de l'état de fait illicite ou en cessation de trouble).

Les premiers juges ont cité l'art. 40 de la loi française du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature, qui permet aux associations agréées la Ligue française pour la protection des oiseaux ou le Groupe ornithologique savoyard, par exemple - d'exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les faits constituant des infractions relatives aux espèces animales protégées et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs qu'elles ont pour but de défendre, relevant que notre droit ne connaît pas de disposition semblable. On peut également mentionner la loi Barnier du 2 février 1995 qui a édicté des dispositions plus générales figurant actuellement sous le titre "Action en justice des associations" dans le code de l'environnement et dans le code rural. Sur le plan jurisprudentiel, on relèvera, toujours pour ce qui concerne la France, outre une tendance consistant à interpréter de manière large la notion de "préjudice subi personnellement par l'association" (qui a conduit par exemple la Ire Chambre civile de la Cour de cassation à admettre qu'une association ornithologique, qui s'était donnée pour mission de protéger les oiseaux migrateurs, avait subi un préjudice moral personnel en relation de causalité avec la faute de l'organisateur d'une chasse au cours de laquelle un oiseau d'une espèce rare avait été abattu (Bull.cass.1982.1.282 n° 331)), une tendance à interpréter de façon extensive la mission de représentation des intérêts collectifs confiée à certaines personnes morales; il a ainsi été parfois considéré que cette mission, en raison de sa généralité, impliquait tacitement un droit d'action en justice qui n'était pourtant pas spécifiquement prévu par la loi (Geneviève Viney, L'action d'intérêt collectif et le droit de l'environnement, p. 12-13, à paraître dans un ouvrage collectif intitulé La responsabilité et la réparation des dommages causés à l'environnement (Bruxelles 2005)). Mais ces solutions jurisprudentielles ne se concilient pas avec l'état actuel de notre législation. Pour ce qui est du droit de recours des organisations de défense des animaux, on peut renvoyer à ce qui a été dit plus haut. S'agissant du tort moral, on signalera que la nouvelle norme du code des obligations prévoyant la prise en compte de la valeur affective des animaux pour leur propriétaire ou pour les proches de celui-ci dans le calcul des dommages-intérêts ne vise que les animaux vivant en milieu domestique (art. 43 al. 1 bis CO).

Il résulte de ce qui précède qu'en ne reconnaissant pas à la demanderesse la qualité pour agir en dommages-intérêts sur la base de l'art. 23 LChP, la cour cantonale n'a pas violé le droit fédéral.

6. Le rejet des moyens pris de la violation des règles concernant la qualité pour agir de la demanderesse rend superflu l'examen des griefs relatifs à la notion de dommage (à ce sujet, voir ATF 90 II 417 consid. 5 dans lequel les frais de repeuplement effectif d'une rivière polluée ont été alloués aux cantons de Vaud et Fribourg; cf. aussi, pour la notion de dommage, ATF 129 III 331 et les commentaires A-S Dupont in SJ 2003 II 471 ainsi que E. Guggisberg in PJA 2003 1246; ATF 127 III 73 consid. 4 et 5 et le commentaire Roberto in PJA 2001 723).

7. La recourante qui succombe supportera les frais de procédure et versera une indemnité de dépens à l'intimée (art. 156 al. 1 , 159 al. 1 OJ).

Par ces motifs, le Tribunal fédéral prononce:

1. Le recours est rejeté. 2. Un émolument judiciaire de 5'000 fr. est mis à la charge de la recourante.

3. La recourante versera à l'intimée une indemnité de 6'000 fr. à titre de dépens.

4. Le présent arrêt est communiqué en copie aux parties et au Tribunal cantonal du canton du Valais, Cour civile II.

Lausanne, le 20 février 2004

Au nom de la Ire Cour civile du Tribunal fédéral suisse

Le président: La greffière:
haut